En 2021: Réussir sa vie, est-ce réussir ses week-ends?


Les images défilent sans fin sur mon écran. Il est 22 heures et je scrolle frénétiquement Instagram en regardant la vie des autres au lieu de vaquer à mes occupations. Ici la visite de l’expo de peinture à la mode, là le dernier cours de yoga tendance, bien évidemment, instagrammable. Plus loin les vacances en famille au pas de course, aussi reposantes qu’un doux bruit de machine à laver lancée en pleine vitesse en mode essorage lorsqu’une chaussette égarée s’est malencontreusement coincée dans le joint du hublot.

Tout à coup, c’est devenu évident. L’ambition a changé de camp.

Là où l’on aspirait gravir les échelons, avoir un poste clinquant avec un titre aussi bling bling que les pacotilles qu’on voit partout en ce moment au cou des influenceuses, ces nouvelles ménagères de moins de 50 ans, désormais on privilégie la réussite personnelle. Jusque-là, rien de neuf vous allez me dire. Les reconversions des directeurs artistiques en fromagers sont légion. Et « votre » caviste a fait HEC. Mais ce qui est étonnant c’est que dorénavant, ces mêmes codes des années 80 sont appliqués à notre vie personnelle, sommée d’être palpitante tout le temps et tous les jours, là où finalement notre job occupe la place laissée par la vie personnelle d’avant. Au second plan.

 

 

Notre vie personnelle est sommée d’être palpitante tout le temps et tous les jours, là où finalement notre job occupe la place laissée par la vie personnelle d’avant

 

Alors qu’avant on voulait tout mener de front, comme un équilibriste qui aurait un peu abusé de mojitos lors d’un happy hour à la sortie du bureau, désormais on surinvestit la sphère personnelle au point de vouloir devenir son propre « Chief Happiness Manager », ce salarié à qui incombe la mission d’assurer le bonheur au travail de ses collègues afin de s’assurer de leur productivité. Nous sommes entrés dans l’ère de la startupisation de notre vie privée, pour gérer nos amis en mode agile en leur pitchant une proposition de verre ou en essayant de disrupter le brunch dominical afin qu’il devienne scalable. Lorsqu’il est question de caler un dîner, nous ne sommes pas loin de nous lancer dans la réalisation d’un diagramme de Gantt afin de gérer la réservation mais aussi de synchroniser les emplois du temps de tous. Le tout en essayant de faire du lean management avec nos enfants pour les transférer à la business unit des grands-parents

Nous n’en oublions pas pour autant le strass et les paillettes, comme les projecteurs habillent de lumières les keynotes. Car cette nouvelle ère show-off se décline aujourd’hui verticalement, en stories. Des hôtels pour travailler, aux restos ou vernissages « où il faut aller », à cette salle de sport, symbole de la réussite sociale que l’on s’empresse d’afficher, en passant par cette vie de maman qui se veut parfaite et menée tambour battant comme un projet sur slack avec rétro planning et échéanciers sur trois mois, voyages et sorties familiales. Là où l’on voulait tout en même temps (le job et la vie perso, les deux), la vie privée tend désormais à l’emporter. Au moins sur les réseaux hors LinkedIn

 

Finalement, c’est un nouveau modèle de réussite qui se substitue au précédent. Et notre vie personnelle est devenue aussi caricaturale que les symboles de réussite professionnelle des années 80

 

Peu importe le travail exercé, il peut rester dans l’ombre s’il n’est pas source d’admiration, ce qui compte n’est pas tant ce que vous faites que la manière dont vous investissez votre temps libre. Et à ce titre, pas question d’être relégués en seconde ligue dans cette folle course aux égos. Ce temps vacant est devenu un fulltime job, interdiction de « sortir du game » d’Instagram sous peine de déclassement “social.

Finalement, c’est un nouveau modèle de réussite qui se substitue au précédent. Et notre vie personnelle est devenue aussi caricaturale que les symboles de réussite professionnelle des années 80. Il serait peut-être temps de repartir à la conquête de notre temps libre avec pour seule et unique ambition de nous… reposer… Disruptif, je sais.

 

 

Source Usbek&Rica

 

Anne-Claire Ruel. 15.09.21 


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